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Monsieur le Président,
Le syndicat des Travailleurs et travailleuses unis de l'alimentation et du commerce (TUAC Québec) représente plus de 55 000 membres et plus de 1100 unités de négociation à travers le Québec. Ces 55 000 membres sont représentés au Québec par trois sections locales, soit les sections locales 500, 501 et 1991-P. Il s'agit de sections locales composées, c'est-à-dire qu'elles regroupent plusieurs unités de négociation. L'organisation élargie compte plus de 250 000 membres au Canada et au-delà de 1,3 million en Amérique du Nord.
Le projet de loi n° 3, déposé par le ministre du Travail, suscite de sérieuses préoccupations quant à ses impacts sur les droits et la protection des travailleuses et travailleurs. Bien qu'il soit présenté comme une mesure visant à améliorer la transparence et la gouvernance des associations en milieu de travail, ses dispositions imposent des contraintes importantes pour des organisations syndicales aux réalités distinctes, comme les TUAC Québec.
Une grande proportion de nos membres sont impactés directement par tout changement aux lois minimales du travail, qu’il s’agisse de la Loi sur les normes du travail ou encore la Loi sur la santé et sécurité au travail. Des changements à d’autres lois peuvent également avoir un impact direct sur les conditions de travail et de vie de nos membres, pensons à l'adoption récente du projet de loi n° 85, Loi modifiant diverses dispositions principalement aux fins d’allègement du fardeau réglementaire et administratif, qui a modifié les heures d’ouverture des commerces.
La prolongation des heures d’ouvertures des commerces vient impacter directement les horaires de travail de nos membres prévus aux conventions collectives. Bien que cela ne veuille pas dire que nous contestions chaque modification aux lois qui touchent les conditions de travail, il importe de rappeler l’importance que les TUAC Québec puissent prendre la parole rapidement et en toute liberté pour éviter qu’une modification législative vienne impacter la convention collective, sans crainte de se faire reprocher qu’il s’agit plutôt d’une intervention politique.
Nous souhaitons, par ce mémoire, exposer nos préoccupations articulées autour de trois grands volets qui démontrent les effets collatéraux problématiques de ce projet de loi.
Le projet de loi n° 3 impose un fardeau administratif considérable qui menace la capacité opérationnelle des syndicats locaux comme les TUAC Québec.
Avec plus de 1100 unités de négociation réparties à travers le Québec, l'obligation de tenir un vote par scrutin secret dans chaque unité pour autoriser le prélèvement d'une cotisation facultative représente un défi logistique majeur. Concrètement, cela signifie qu’en incluant les votes sur les renouvellements et l’adoption des conventions collectives, les TUAC Québec pourraient devoir organiser plus de 1 400 votes annuellement, au minimum. Si plusieurs prises de position publiques ou interventions sociales étaient requises dans l'année, cela viendrait doubler et même tripler ce nombre de votes. Rappelons que pour tenir un seul vote auprès d’une unité de négociation, un processus de consultation doit être déclenché, rajoutant ainsi une étape de complexité au processus souhaité par le projet de loi n° 3.
Le projet de loi prévoit que chaque vote doit :
Cette multiplication des votes crée une situation absurde où les ressources syndicales, qui devraient être consacrées à la défense des droits des travailleurs, seront plutôt mobilisées par des processus bureaucratiques répétitifs. Pour une organisation représentant des travailleurs répartis sur l'ensemble du territoire québécois, souvent dans des commerces de détail avec des horaires variables et des quarts de travail atypiques, organiser ces votes représente un fardeau pratiquement insurmontable.
L'obligation d'organiser ces votes entraîne des coûts importants :
Ces coûts administratifs détournent les cotisations syndicales de leur véritable mission : la défense et l'amélioration des conditions de travail des membres. Non seulement il s'agit d'un gaspillage de ressources considérable pour des interventions sociales qui sont rares et bénéficient à l'ensemble de la société, mais cette nouvelle disposition dans le projet de loi démontre par l’absurde que la volonté de forcer les syndicats à se concentrer sur la défense de leurs membres détournera des ressources financières vers des activités administratives inutilement lourdes.
Le gouvernement justifie ces mesures en invoquant des cas exceptionnels fortement médiatisés, mais impose à tous les syndicats un régime de surveillance qui laisse croire qu’il présume de leur mauvaise foi. Cette approche révèle une méconnaissance des processus internes rigoureux et de la reddition de compte transparente qui sont déjà en place dans nos organisations.
Dans un contexte où les gouvernements peuvent adopter des lois ou des politiques qui affectent rapidement les travailleurs, la capacité de réagir promptement est essentielle. Le projet de loi n° 3 impose un délai incompressible de plusieurs semaines entre la décision d'intervenir et la possibilité de le faire :
Cette lourdeur administrative pourrait transformer les syndicats en organismes paralysés, incapables de répondre efficacement aux enjeux urgents qui touchent leurs membres et l'ensemble des travailleurs québécois.
La situation n’est pas favorable aux employeurs non plus, puisque les travailleurs devront constamment être interpellés et mobilisés pour tenter de faire face aux obligations dans la Loi.
Alors que le gouvernement souhaite désengorger les tribunaux et réduire la taille de l’État, le projet de loi viendra au contraire imposer une lourdeur administrative aux syndicats qui aura aussi un impact sur l’appareil gouvernemental et judiciaire. Pour respecter ces nouvelles conditions, les TUAC devront déposer des rapports qui attesteront des résultats des 1400 votes annuels. Le gouvernement devra donc investir des sommes considérables pour assurer les vérifications d’usage de ces rapports et procéder à des inspections supplémentaires.
Le projet de loi n° 3 crée une confusion majeure et potentiellement ingérable concernant les cotisations versées aux fédérations syndicales comme la FTQ.
L'article 47.0.2 du projet de loi exige que les associations accréditées présentent à leurs membres « les cotisations qu'elle prévoit transmettre à l'union, à la fédération ou à la confédération à laquelle elle est affiliée ou appartient, en identifiant la part relative à la cotisation principale et celle relative à la cotisation facultative. »
Cette disposition soulève une question fondamentale : comment un syndicat local peut-il anticiper et présenter à ses membres les décisions futures d'une fédération nationale ? Les TUAC Québec ne contrôlent pas les choix stratégiques de la FTQ en matière d'interventions sociales ou politiques. Comment pouvons-nous prédire si la FTQ décidera, dans six mois, d'intervenir dans un débat public important ?
Le projet de loi semble exiger que :
Cette approche est à la fois impraticable et antidémocratique. Elle force les membres à voter sur des dépenses hypothétiques sans information concrète sur leur utilisation.
Pire encore, le projet de loi pourrait être interprété comme exigeant des votes multiples : un vote local pour autoriser le transfert, puis potentiellement d'autres votes locaux chaque fois que la fédération souhaite utiliser ces fonds pour des activités visées à l'article 47.0.1. Cette cascade de votes créerait une paralysie complète du mouvement syndical.
Cette ingérence du législateur dans la relation entre syndicats affiliés et leurs fédérations constitue une violation de l'autonomie syndicale protégée par la Charte canadienne des droits et libertés. Le droit d'association inclut le droit pour les syndicats de s'affilier à des organisations plus larges et de mettre en commun leurs ressources pour défendre leurs intérêts collectifs.
En imposant ce régime de double vérification, le projet de loi n° 3 affaiblit structurellement le mouvement syndical québécois et compromet sa capacité d'agir collectivement sur des enjeux d'intérêt général.
Le gouvernement présente le projet de loi n° 3 comme une réponse nécessaire à des abus présumés. Pourtant, l'historique des TUAC Québec démontre exactement le contraire : nos interventions sociales sont rares, mesurées et ont produit des avancées bénéficiant à l'ensemble de la société québécoise.
Les syndicats n'utilisent pas leurs cotisations de manière irresponsable pour financer des recours judiciaires à répétition. Au contraire, ils interviennent de façon ciblée lorsque des droits fondamentaux sont en jeu.
La reconnaissance des droits syndicaux des travailleurs agricoles saisonniers (CRTQ, 2010)
Une décision majeure de la Commission des relations du travail a confirmé en 2010 que tous les travailleurs agricoles, y compris les saisonniers et migrants, disposent du droit constitutionnel de s'associer et de négocier collectivement, conformément à la Charte des droits et libertés.
Cette décision, rendue après 20 mois d'audiences, a permis l'accréditation d'une unité syndicale dans une ferme près de Mirabel, malgré l'opposition du lobby agricole FERME et du procureur général, qui invoquaient l'article 21.5 du Code du travail limitant la syndicalisation aux fermes employant trois travailleurs permanents à l'année. La CRTQ a jugé cette restriction obsolète, soulignant que les fermes modernes fonctionnent comme des entreprises industrielles.
L'affaire Walmart de Jonquière (Cour suprême, 2013)
Suite à la syndicalisation de son magasin Wal-Mart à Jonquière, l’entreprise a fermé ses portes. Après neuf ans de procédures juridiques suivant ladite fermeture, la Cour suprême a déclaré que désormais, les employeurs devaient justifier la fermeture d'un établissement, renforçant la protection des droits syndicaux et limitant les stratégies visant à contourner la négociation collective.
Ces victoires, portées par les TUAC, illustrent l'importance pour les syndicats de disposer de ressources financières suffisantes pour soutenir des batailles juridiques complexes, même au bénéfice de travailleurs non-membres.
Ces exemples démontrent que les interventions syndicales dans le débat public produisent des effets bénéfiques qui dépassent largement le cadre des membres cotisants. Les syndicats ont historiquement joué un rôle déterminant dans :
L'économiste Guillaume Tremblay-Boily, de l'IRIS, a recensé plusieurs études démontrant les bienfaits sociaux de la participation des syndicats au débat public. L'étude de Banerjee et coll. (2021) publiée par l'Economic Policy Institute confirme que les actions des syndicats ont des effets positifs qui dépassent le cadre du milieu de travail. Les organisations syndicales contribuent à renforcer le filet social et la vitalité démocratique. En tant qu'organisations intermédiaires entre la sphère privée et l'espace public, les syndicats donnent aux travailleurs une voix collective et contribuent à l'éducation citoyenne et à la participation démocratique.
En imposant un régime de votes multiples pour autoriser des dépenses qui représentent quelques dollars par membre par année, le projet de loi n° 3 crée une bureaucratie démesurée pour résoudre un problème qui n'existe tout simplement pas.
Organiser 1 200 votes pour dépenser quelques dollars par année dans des campagnes sociales qui surviennent aux 15 ans : voilà le cœur du problème que pose ce projet de loi.
Cette disproportion entre les moyens imposés et les risques présumés révèle la véritable nature du projet de loi : il ne s'agit pas d'améliorer la transparence ou la démocratie syndicale, mais bien d'affaiblir la capacité des syndicats à jouer leur rôle d'acteurs sociaux dans le débat public québécois.
Le projet de loi n° 3, dans sa forme actuelle, représente une menace sérieuse pour la démocratie syndicale et la capacité des syndicats à défendre les droits des travailleurs, qu'ils soient syndiqués ou non.
Les trois volets de notre argumentation démontrent que ce projet de loi :
Rappelons que le Code du travail garantit déjà la transparence au sein des syndicats. Nos membres peuvent s'exprimer librement et obtenir sur demande les documents financiers. Ils peuvent également s'exprimer sur les orientations et les prises de position dans les débats publics. Les mécanismes démocratiques sont déjà en place.
Nous invitons donc les membres de cette commission à retirer ce projet de loi gouvernemental afin de préserver la capacité des syndicats de demeurer des acteurs constructifs dans le débat public et de continuer à défendre les droits de tous les travailleurs québécois.
Les avancées sociales obtenues par les syndicats au fil des décennies – droits des travailleurs agricoles, protection contre les fermetures antisyndicales, équité salariale, services de garde publics – démontrent que leur voix dans l'espace public est essentielle à une société juste et équitable.
Nous vous remercions de l'attention que vous porterez à nos préoccupations. Veuillez agréer, Monsieur le Président, l'expression de nos sentiments les plus distingués.
Anouk Collet
Conseillère principale au président national
TUAC Québec